Pour le trompettiste Miles Davis : « En musique comme dans le sport, le mieux bien sûr est d’arriver à dépasser l’analyse, à agir de manière naturelle. Cela demande beaucoup de patience et de préparation ».
En passant d’une logique de conformité à une logique d’impulsion, les pratiquants des activités sportives et culturelles enclenchent une démarche créative de bien-être, d’art de vie et de reconnaissance sociale. Une démarche créative qui trouve ses fondements lors de la participation à des manifestations culturelles mais également dans la pratique d’une discipline sportive au moment où le sportif parvient à se surpasser. Une démarche créative dont les effets sont régulièrement décuplés lors de la mise en synergie des deux types de pratique. Parmi les conclusions de l’enquête effectuée en 2005 par l’INSEE sur le mariage du sport et de la culture, on peut lire : « le nombre de sorties, de visites et d’activités artistiques augmente avec celui des activités sportives ». De par leurs similitudes dans le déclenchement des processus d’accumulation, de transformation et de mutation, les deux formes d’expression que sont le sport et la culture possèdent une complémentarité qui se décline de multiples façons.
La complémentarité dans les talents était affichée par Platon lorsqu’il affirmait : « Un dieu a donné aux hommes la musique et la gymnastique pour faire l’éducation de leur énergie et de leur sagesse ». Une sagesse dont il était également question pour Cléanthe d’Assos, philosophe grec directeur de l’école du stoïcisme, qui avait marié la pratique de la boxe avec l’objectif de son école : « Vivre avec sagesse ». Au tout début du 20ème siècle, Arthur Cravan, qui était à la fois poète et boxeur, était considéré par les dadaïstes et les surréalistes comme un des précurseurs de leurs mouvements ; qui saura dire aujourd’hui s’il était plus violent en tant que poète ou en tant que boxeur ?
Parmi les écrivains qui ont harmonieusement mis en synergie le sport et à la culture, comment ne pas citer Albert Camus, qui fut goal de l’équipe de football de la ville d’Alger et qui avait pour habitude de dire que sa connaissance des hommes lui venait « de la pratique et de l’observation du football ».
La complémentarité du sport et de la culture se décline également au niveau des lieux de représentation, comme à Delphes où étaient organisés les Jeux Pythiques, équivalents des Jeux olympiques avec, en parallèle des épreuves sportives, des concours de musique, de chant et de poésie. Aujourd’hui, de nombreux équipements ont la possibilité de décliner cette complémentarité et y compris les piscines, ne serait- ce qu’à travers des propos comme celui de l’entraîneur du champion olympique de natation Alexandre Popov qui disait de lui : « Une fois dans l’eau, tel un danseur, il saisit d’abord l’énergie du mouvement, puis il vit le mouvement, avant d’être le mouvement ». Une complémentarité matérialisée par un ancien nageur de haut niveau de Montpellier qui, devenu photographe et cinéaste professionnel, avait organisé au fond de l’eau une exposition de ses plus beaux clichés, agrandis et traités en conséquence pour le plus grand plaisir des usagers de la piscine olympique.
Le jazzman Jean Garbarek fait partie de ceux qui ont le mieux exprimé la complémentarité dans les disciplines sportives et culturelles : « Voir quelqu’un qui contrôle le ballon comme Zidane, qui tente des choses aussi inspirantes dans les situations les plus inattendues, qui est toujours capable de recevoir et de donner le ballon dans de bonnes conditions, c’est comme un musicien qui pour improviser doit être capable d’écouter ce qui se passe, formuler une idée et la transmettre de manière à inspirer les autres pour que la musique puisse aller de l’avant ».
Indissociables depuis longtemps
Même si elles n’avaient pas été conçues avec cette volonté affichée de complémentarité, les manifestations internationales, organisées dans les périodes où l’évolution de la société était la plus marquante, ont toujours su marier le sport et la culture. Les Jeux olympiques de 1900, réalisés à Paris pendant la durée de l’Exposition universelle, ne furent pas d’une grande qualité mais ils permirent de faire vivre une approche conjointe du sport et de la culture et d’en esquisser les prolongements.
Ce que fit Pierre de Coubertin lorsqu’en opposition avec les autres membres du C.I.O. il défendit la mise en synergie du sport et de la culture et organisa en 1906 la première conférence consultative avec des sportifs, des hommes de lettres et des artistes.
Une volonté qui se concrétisa, dès les J.O. de Stockholm en 1912 et jusqu’aux J.O. de Londres en 1948, par la mise en valeur pendant les jeux de plusieurs disciplines artistiques telles que la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique et la littérature.
Si l’Angleterre nous a soufflé les J.O. de 2012 c’est aussi parce qu’elle avait su faire ce que nous devrons faire un jour, si ce n’est l’unification qu’elle a réalisé des ministères des sports et de la culture, au moins la mise en place d’une délégation interministérielle regroupant ce qui relève des volets sociaux des politiques sportives et culturelles ; la pertinence d’une candidature française pour les J.O. de 2024, positionnée une fois encore dans une période où l’évolution de la société est particulièrement prégnante, ne peut éluder cette approche.
Parmi les complémentarités du sport et de la culture, il en est une qui se décline avec une indéniable pertinence car elle a pour objectifs, le bien-être, l’art de vie et la reconnaissance sociale des enfants y compris, et surtout, ceux qui sont issus des quartiers sensibles. Le risque pour les adolescents de basculer dans une vie marginale, voire d’un endoctrinement, s’estompe lorsqu’ils acquièrent une bonne image d’eux-mêmes. Sport et culture les aident à acquérir cette image et à la valoriser au fil des spectacles, des rencontres sportives, etc. Pour exemple, discourir avec leur entourage sur le « ressenti » lors d’une manifestation culturelle ou lors de la projection d’un film permet aux enfants d’afficher leur point de vue et d’affirmer la singularité dont ils ont besoin pour être reconnus.
Si ces complémentarités paraissent évidentes et tout particulièrement celles qui sont liées aux enfants, il n’en demeure pas moins que la coordination opérationnelle que l’on est en droit d’attendre d’une telle approche sociétale reste à imaginer. Nombreuses sont les associations qui oeuvrent en ce sens, qu’elles soient culturelles, sportives, sociales, de santé mais trop souvent, elles oeuvrent à l’intérieur d’un cadre dont la spécificité ne permet plus de distinguer l’approche humaniste qui a fréquemment été à l’origine de leur création.
Afin de ne pas laisser sur le bord du chemin des milliers d’enfants, dont les 150 000 décrocheurs scolaires annuels.
Il est essentiel d’institutionnaliser une réelle coordination entre toutes les belles actions mises en oeuvre par l’ensemble des associations sportives, culturelles, sociales, de santé au sein de chaque « espace de vie » (quartier de ville ou village).
Une coordination qui nécessite la collecte des activités existantes sur un quartier et l’organisation d’un relais vers ces activités mais également l’existence de lieux où cela se construit ; des lieux aisément identifiables dans le tissu urbain et facilement accessibles par tous y compris et surtout par les enfants qui se déplacent à pied, en vélo, en roller, en skate, en fauteuil roulant, etc.
Et si à ce stade du raisonnement nous faisions un rêve ...
Imaginons des lieux assimilables à des « maisons citoyennes » qui, positionnés au coeur des espaces de vie des habitants effectueraient l’inventaire et le repérage des actions d’accompagnement existantes sur le territoire. Des maisons qui s’attacheraient à construire des relations privilégiées avec les écoles et les établissements d’enseignement afin d’esquisser avec les enseignants les meilleurs partenariats dans la lutte contre les décrochages scolaires et par corrélation avec les décrochages sociaux et sociétaux. Des maisons citoyennes qui auraient la possibilité d’orienter les enfants, dans les plus brefs délais, vers l’un des responsables de la structure sportive, culturelle, ou d’animation sociale, capable de répondre à leur attente. Des maisons qui auraient la possibilité de promouvoir, en début d’année scolaire au sein des établissements d’enseignement, les pratiques culturelles et sportives existantes dans leur environnement proche et de négocier avec les clubs et associations concernées les partenariats les plus profitables aux enfants. Des maisons qui pourraient également orienter ces enfants vers les associations culturelles et sportives locales dont l’accueil aura été construit avec des personnels acquis à cette double démarche ou vers les associations d’éducation populaire lorsque l’intérêt affiché relèvera plutôt d’une animation sociale.
Afin de jouer véritablement un rôle d’accompagnement éducatif et un rôle moteur en termes de politique publique, ces « maisons citoyennes » impliqueraient l’existence d’un deuxième rêve : celui de la déclinaison administrative de cette politique publique. Une déclinaison qu’il n’est pas aisé de construire car les intérêts des clubs sportifs, des associations culturelles ou d’animation sociale, des écoles, des municipalités ne concordent pas de manière évidente. Corinne Mérini, maître de conférence spécialiste des partenariats, dit à ce propos : « Il faut qu’il y ait négociation, ce qui est énergétiquement coûteux mais indispensable puisque c’est elle qui va aider à tout instant, à tout niveau du système, à construire le rapport entre les identités en présence ».
La formalisation de cette négociation pourrait alors trouver son aboutissement dans une « Charte de partenariat » qui rassemblerait les parents, les jeunes, les écoles, les collèges, les structures associatives, les clubs, les services de la collectivité territoriale, les partenaires de santé, d’éducation et toute personne concernée par les bienfaits de la pratique associative des jeunes.
En fait, arrêtons de rêver, car il existe déjà au sein de plusieurs municipalités des maisons qui, même si elles ne s’appellent pas « citoyennes » remplissent une partie des missions de coordinations évoquées et il existe des établissements publics d’éducation qui mettent en place les chartes de partenariat qui accompagnent leurs conseils locaux du sport et de la culture.
Il reste pourtant un rêve à matérialiser : que les belles actions qui mettent aujourd’hui en synergie le sport et la culture soient reconnues au plus haut niveau et qu’elles soient efficacement accompagnées car elles sont assurément porteuses d’un formidable élan sociétal.