Cet après-midi-là, le roi Georges 1er de Grèce est de sortie. Le souverain proclame, il y a cent vingt ans jour pour jour, le 6 avril 1896, le lancement d’une curieuse compétition : la première édition des Jeux olympiques de l’ère moderne. La cérémonie d’ouverture se tient au stade panathénaïque d’Athènes, mais à bonne distance du site d’Olympie et de la péninsule du Péloponnèse, où se déroulaient ceux de l’Antiquité.
Avant le sport, musique : en prélude aux neuf jours de compétition, des musiciens jouent l’« hymne olympique » ; composition de Spýros Samáras, paroles de Kostís Palamás. Dans les gradins, quelque 60 000 spectateurs, selon les décomptes de l’actuel Comité international olympique (CIO). Pour le public, en majorité local, cette date est doublement particulière.
Le 6 avril du calendrier grégorien correspond en effet au 25 mars du calendrier julien, alors en vigueur au pays de l’olympisme. Coïncidant cette année avec le lundi de Pâques, la date marque surtout l’« anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance de la Grèce (1821-1829) » face à l’Empire ottoman, précise Jean Durry, écrivain, historien et fondateur du Musée national du sport.
« Le sport restait une excentricité »
Dans la capitale grecque et alentour, la renaissance des Jeux nourrit le sentiment de fierté nationale, rappelle Durry :
« Ces Jeux de 1896 ont été une réussite absolument surprenante. En cette fin de XIXe siècle, on n’avait pas d’événement omnisports, ça n’existait pas. Les différents sports qui commençaient à existers’ignoraient ou se méprisaient plus ou moins les uns les autres. C’est un succès qu’on n’aurait pas pu imaginer. Le sport restait une curiosité, une excentricité, alors qu’aujourd’hui il fait partie de la vie de la société. »
Le choix d’Athènes pour renouer avec l’olympisme est le fait d’un Français. Le baron Pierre de Coubertin propose cette destination, dès 1894, lors d’un congrès fondateur, dans l’amphithéâtre parisien de la Sorbonne.
« Coubertin avait un temps imaginé que les premiers Jeux olympiques des temps modernes auraient lieu à Paris en même temps que l’Exposition universelle de 1900, mais finalement le congrès de 1894 a été un tel succès qu’il a été lui-même emporté par le mouvement, il a senti le vent et il a proposé le nom de la ville d’Athènes. »
« A l’époque, Pierre de Coubertin est un homme original qui veut revivifier la jeunesse française en introduisant le sport dans les lycées, à l’image de ce qu’il a distingué dans ses premiers voyages en Angleterre. C’est à ce moment-là qu’il songe à internationaliser le sport pour que, même en France, on le prenne au sérieux. »
Alors que Coubertin est désigné secrétaire général du mouvement olympique, la présidence échoit à un Grec, Dimitrios Vikelas, homme d’affaires (et de lettres) installé à Paris.
L’acmé de ces Jeux athéniens ? L’épreuve du marathon, belle comme l’antique, « événement qui a inscrit définitivement les Jeux olympiques dans l’histoire du sport ». Sur une idée du linguiste français Michel Bréal, cette course s’inspire d’un récit connu de tous : la légende veut qu’en 490 avant Jésus-Christ, un soldat ait parcouru à la hâte la quarantaine de kilomètres séparant les villes de Marathon et d’Athènes pour jouer les saute-ruisseaux.
Au XIXe siècle, le Grec Spyridon Louis court après un autre objectif : en 2 h 58 min et 50 s, le 10 avril, le nouveau héros national remporte là le premier marathon olympique. Comme lui, tous les vainqueurs de 1896 reçoivent le même prix : un rameau d’olivier et une médaille… d’argent – l’or deviendra le métal des champions seulement à partir des Jeux de 1904, à Saint-Louis (Etats-Unis). Sur l’avers de la médaille figurent Zeus et Niké, la déesse de la victoire, dont le nom perdure aujourd’hui à travers… la marque d’un équipementier sportif américain. Sur le revers, l’Acropole d’Athènes.
Les autres épreuves d’athlétisme, elles, consacrent la domination des Etats-Unis. Ainsi du sprinteur Thomas Burke, vainqueur du 100 m en 12 s. « Les étudiants américains des grandes universités ont raflé l’essentiel des choses. » A l’inverse, celles de gymnastique et de cyclisme (alors « vélocipédie ») sourient respectivement aux sportifs allemands et français. Ce qui n’empêche pas le gymnaste Carl Schuhmann de s’illustrer également en lutte, au point de devenir le champion le plus couronné de cette édition, quatre titres à l’appui.
En 1896, parmi les 241 sportifs recensés par le CIO, plus de la moitié viennent de Grèce. En ce temps où l’avion n’a pas encore supplanté le bateau, seules treize autres délégations ont entrepris le déplacement. Les unes en provenance d’Amérique (Chili, Etats-Unis) et d’Océanie (Australie) ; les autres, d’Europe : France, Allemagne, Autriche, Bulgarie, Danemark, Grande-Bretagne, Hongrie, Italie, Suède, Suisse.
Sur le terrain, que des hommes. La perspective d’une « olympiade femelle » étant alors jugée « impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte… », selon la citation attribuée à Pierre de Coubertin, il faudra attendre la deuxième édition des Jeux pour voir les femmes tenter une timide incursion. Ce fut en 1900 à Paris. Et ce, souligne Jean Durry, malgré « les participants qui avaient soutenu l’idée que les Jeux devraient désormais rester tout le temps en Grèce » à l’issue de l’édition initiale.
Adrien Pécout
Article issu du site internet du journal Le Monde.