Dans les premières décennies du XXème siècle, le pratiquant ordinaire d’un patronage participe avec plus ou moins de réussite à quatre activités : il y manie le bâton, grimpe à la corde et s’exerce aux ciseaux sur les barres parallèles, y joue du clairon ou du tambour, y tire au fusil de guerre et se produit sur scène au moins une fois par an lors du «gala». Passons pour l’instant sur ce dernier aspect, pour nous concentrer sur cette belle trilogie bien symbolique de la IIIème république.
Le tir est, avec la gymnastique et les fanfares, une des 3 activités présentes dès la création de l'Union des sociétés de gymnastique et d’instruction militaire des patronages et œuvres de jeunesse de France (USGIMPOJF) en 1898. Elle dépend alors d’une commission de préparation militaire où se pratique le tir aux armes réglementaires (TAR). Ladite commission déploie une telle activité qu’en 1914, un lauréat sur trois du Brevet d’aptitude militaire l’a préparé au sein de la FGSPF[. Cela se poursuit après 1919 mais il faut cependant attendre 1933 pour noter l'organisation d'une compétition civile et la commission de tir n’apparait qu’en 1949 au sein de la toute nouvelle Fédération sportive de France (FSF).
La coexistence est alors difficile, chaque commission organisant son propre championnat jusqu'à l’apparition de la Fédération sportive et culturelle de France (FSCF) qui signe la disparition de l’aînée en 1968. On ne sait toujours pas aujourd’hui s’il faut vraiment s’en réjouir car seule la Fédération française de tir (FFT) et ses délégations régionales sont habilitées à gérer la possession individuelle d'armes à feu à titre civil et sportif. Cette restriction qui fait obstacle au développement de la discipline chez tous les affinitaires se révèle encore particulièrement cruciale pour la FSCF en Alsace où l’Avant-garde du Rhin a fait de cette discipline une activité de base.
Issue du même fourneau, la gymnastique s’adresse aussi à ses débuts à des « sections » qui défilent en ordre derrière leurs drapeaux. Les évolutions collectives et les qualités athlétiques y priment sur la virtuosité individuelle et le premier championnat fédéral n’est organisé qu’en 1910 par la commission présidée depuis cinq ans déjà par Léon Rousselet qui y reste jusqu’en 1929. La Grande Guerre interrompt le cycle et le concours de Metz prévu en 1919 pour fêter le retour de l'Alsace-Lorraine est reporté d’un an. Il accueille 8 000 gymnastes et 160 sociétés et pour la première fois le gouvernement y délègue un représentant. C'est l'époque des regroupements grandioses : à Strasbourg l'année suivante, 266 associations, 18 000 gymnastes et musiciens et au Champ-de-Mars à Paris les 21 et 22 juillet 1923 pour notre 25° anniversaire 600 associations, 28 000 gymnastes et musiciens évoluent sous le patronage d’Alexandre Millerand, président de la République.
Des événements de grande envergure
Gabriel Maucurier a déjà succédé à Rousselet depuis un an quand 70 associations métropolitaines passent la Méditerranée le 14 juin 1930 avec gymnastes et 500 musiciens pour participer au grand concours célébrant le centenaire du débarquement de Sidi-Ferruch. Si les grands rassemblements se poursuivent comme à Nice en 1932 avec 422 associations, 19 000 gymnastes et musiciens, la gymnastique fédérale connait aussi avec cet éducateur exceptionnel un développement technique et une évolution remarquables. Période bénie où la meilleure entente règne avec l’Union des sociétés de gymnastique de France (USGF). Car notre vice-président Edouard Glotin, directeur des distilleries Marie Brizard, entretient les meilleures relations locales avec son collègue et ami Charles Cazalet, important négociant bordelais en vins … mais aussi président de l’Union des sociétés de gymnastiques de France ainsi que de la Fédération Internationale de Gymnastique !
Suite à sa fusion avec le Rayon sportif féminin (RSF), la fédération change son sigle pour celui de Fédération sportive de France (FSF) le 22 mars 1947. Le concours de 1948 à Paris réunit 8 000 gymnastes et 2 000 musiciens pour le cinquantenaire de la Fédération et les rassemblements suivants retrouvent leur participation d'avant-guerre avec 10 000 gymnastes à Saint-Etienne en 1955. En 1958 le championnat revient dans la capitale pour le soixantenaire avec 18 000 participants et réception de la fédération à l’Élysée par le président de la République, Vincent Auriol. L’année suivante la présidence de la commission passe à Jean Boucher pour 34 ans.
Les femmes toujours présentes
Si les championnats féminins se déroulent indépendamment, des deux côtés les programmes des compétitions « en sections » se resserrent progressivement à partir de 1960 sur des contenus spécifiquement gymniques au détriment des activités athlétiques et collectives alors que les championnats individuels prennent de l’importance. L'élévation du niveau technique qui en découle nécessite alors une organisation des compétitions en salle qui ne permet plus de gigantesques rassemblements ; mais la nostalgie demeure et l’histoire récente reste marquée par quelques très grands championnats mixtes : Poissy en 1979, l’Ile-de-France pour le centenaire de 1998 et surtout Saint-Sébastien-sur-Loire à trois reprises en 1995, 2005 et 2009.
Dans ces rassemblements - et dès les origines leurs cliques restent l’accompagnement aussi incontournable des sections de gymnastique que les fanfares régimentaires. Jadis, au cours des défilés, les clairons passaient volontiers leur instrument à ceux qui défilaient dans les rangs pour prendre leur place : beaucoup étaient à la fois gymnaste et musicien. Aussi dès 1912 la fédération se dote d'une commission spécifique placée sous la présidence de Gabriel Defrance, tambour-major de la Garde républicaine Mis à la disposition de la FGSPF en 1919, il y reste 40 ans jusqu'à son décès en 1952. Mais la musique fédérale reste toujours sous la direction d’un très grand chef de formation car son élève, Robert Goute,[ est déjà le tambour-major de la Musique de l'Air quand il lui succède deux ans plus tard.
Celui-ci oriente aussitôt nos fanfares qui ne se produisaient jusqu’alors qu’en défilés ou formations statiques vers d’autres horizons et publie dans Les Jeunes des articles techniques et pédagogiques introduisant les évolutions spatiales dans leurs présentations. Cependant ses démarches pour structurer des orchestres régionaux et fédéraux piétinent. Recruté comme permanent à la FSCF en 1970 il s'efforce d'arracher l'indépendance vis-à-vis de la gymnastique pour former avec les troupes de majorettes qui apparaissent alors dans les associations un tout plus moderne et cohérent. Devant les obstacles rencontrés, il démissionne en 1979, laissant la musique fédérale fort désemparée. Il faut rendre hommage à ceux qui ont su reprendre le témoin avec beaucoup de courage pour redresser la barre et aussi reconnaître tout ce que la musique fédérale doit à deux très grands chefs d’unités qui l’ont dirigée pendant 65 ans à eux deux.
Gilles Mourey.